Emilie Lemmer et Les Meix du Baugeron
Emilie Lemmer a enseigné un an au Lycée Darche, au cours de l’année 2015-2016. En tant que professeure contractuelle, elle y est intervenue dans le cadre de la BSE (Biotechnologies – Santé – Environnement) avec des cours de Nutrition, Services à l’usager et PSE (Prévention Santé Environnement).
Nous l’avons retrouvée le 12 août dernier – au cours d’une matinée caniculaire – épanouie, heureuse et rayonnante, aux commandes d’une petite entreprise de production de fruits et légumes bio de deux hectares située à Pillon ; un village de la Meuse à 25 minutes en voiture de Longwy avec Les Meix du Baugeron.
L’occasion de dresser le portrait d’une femme courageuse qui a réussi un projet professionnel original et beau et de mettre en parallèle son passé d’enseignante au Lycée Darche avec son travail actuel, en lien direct avec le secteur de la restauration ; l’un des deux pôles de formations professionnelles organisées au Lycée Darche.
Une très belle rencontre à lire ci-dessous…
RESSOURCES HUMAINES
– Bonjour Emilie, peux-tu te présenter en quelques mots pour nos lecteurs ?
Je m’appelle Emilie Lemmer, j’ai 34 ans, je suis maman et originaire de Lorraine (rires)…
– Qu’as-tu suivi comme études ? Quelle est ta formation ?
Alors dans quel ordre (rires) ? En fait, je suis titulaire d’une licence professionnelle Qualité Sécurité Environnement obtenue à l’université de Strasbourg en 2008, d’un CAP Cuisine obtenu en 2010 à Nancy au CFA des Métiers de l’Industrie Hôtelière et d’un CS (certificat de spécialisation) Maraîchage biologique obtenu au lycée agricole de Courcelles-Chaussy en 2019.
– Wouah ! Un sacré parcours d’études…
Ce parcours d’études peut paraître éclectique au premier abord mais en fait, tout est lié à l’idée de la qualité alimentaire… Je me suis rendue compte que très souvent, les produits alimentaires que je côtoyais au cours de ma vie professionnelle n’étaient pas de très bonne qualité. Alors j’ai voulu « creuser » ma formation pour aboutir à une meilleure connaissance des produits de l’agriculture.
– Quel a été ton parcours professionnel avant de créer récemment ton exploitation maraîchère ?
J’ai d’abord travaillé pendant un an chez Milka (Strasbourg), à goûter les chocolats et à surveiller la sécurité au travail. C’était une entreprise de 800 salariés qui existe toujours. Ensuite, j’ai fait quatre ans de restauration à Saint-Maurice-sous-les-Côtes (à côté du Lac de Madine dans la Meuse), à la montagne à Chamonix et j’ai terminé à Étain au restaurant La Sirène. Après cela, j’ai fait trois ans d’enseignement, avec deux années passées au Lycée Reiser de Longlaville et au Lycée Margueritte de Verdun et une année passée au Lycée Darche à Longwy. Enfin, deux ans et demi de maraîchage en tant qu’employée, à Remoiville (55) ; la plus vieille entreprise bio de Lorraine qui doit avoir une vingtaine d’années d’existence à présent !
– Comment t-est venue cette idée de création d’une exploitation maraîchère bio ?
À la base, j’étais déjà passionnée par le jardinage, notamment par mon arrière-grand-mère que j’ai toujours vue en train de travailler la terre. Au vu du monde et de la société actuelle, j’ai eu l’envie de m’impliquer à mon niveau en essayant de travailler de façon biologique, de manière à chercher à obtenir de meilleurs produits.
Mais ce projet professionnel est aussi né d’un désir d’indépendance en étant « ma propre cheffe » (rires). L’envers de la médaille, c’est que je suis seule à gérer mon entreprise.
– Justement, à propos du nom choisi pour ton entreprise ; un peu de linguistique : « Les Meix du Baugeron »… Quésaco ?
Le mot « meix » provient du patois lorrain qui signifie littéralement : « jardin ». On connaît par exemple la commune gaumaise de Meix-devant-Virton (Belgique) qui voulait dire littéralement : « les jardins devant Virton » ! Quant à « Baugeron », c’est le nom du lieu-dit où se trouve mon exploitation. Ce terme « Baugeron » vient de la bauge, nom donné à l’endroit où les sangliers viennent se frotter dans la boue. Donner cette appellation à mon exploitation a été une manière de faire un « clin d’œil » local.
– N’était-ce pas au départ un « pari fou » de vouloir créer ta propre exploitation de maraîchage ?
Bien sûr que si ! Ça l’est peut-être d’ailleurs toujours ! J’ai eu l’idée de ce projet professionnel il y a sept ans… Avec mon conjoint, nous étions alors persuadés du bien-fondé de cette aventure mais il a fallu du temps pour convaincre nos familles respectives…
Et le fait de ne pas être issue du « sérail du monde agricole » a aussi constitué des freins indéniables pour créer mon exploitation.
– Comment cela s’est-il passé du point de vue budgétaire ?
Question finances, on ne monte pas une exploitation fermière comme cela ! Il n’y a que certaines banques qui prêtent aux agriculteurs ! Ce qui est dans la « norme » dans notre région, ce sont les grandes exploitations agricoles de 250 hectares. Pour dire clairement les choses, prendre un rendez-vous auprès de la Chambre d’agriculture n’a pas été chose facile… On n’encourage pas vraiment la création de petites exploitations, surtout en Meuse ! C’est bien dommage car finalement, le risque est minime ; l’endettement n’a pas été conséquent et les aides financières sont là ! Dans cette histoire, personne n’a véritablement pris de risques !
Je me souviens que lorsque je suis sortie de l’école de Courcelles-Chaussy, j’étais vraiment découragée. On m’a clairement fait comprendre que je n’y arriverai pas !
Nous avons aussi eu la chance d’être aidés par des amis qui nous ont prêté du matériel. Le montage de la serre a été un peu compliqué ; trouver une dizaine de bonhommes désireux de venir travailler à 6 heures du matin et sous la pluie n’est pas chose aisée (rires).
– Concrètement, comment s’y prend-on pour créer une entreprise agricole ? As-tu reçu des aides financières pour ce projet professionnel ?
Pour la création d’entreprise agricole et l’obtention d’aides financières, il y a plusieurs contraintes, notamment celle d’avoir moins de 40 ans…
Je me suis rendue à la Chambre d’agriculture de Verdun. On y voit des conseillers d’installation qui jugent ensemble si notre projet est viable ou pas, et de quel « bagage de formation » on a besoin pour s’installer. C’est ainsi que j’ai dû passer le diplôme du BP REA (Brevet Professionnel « Responsable d’Entreprise Agricole ») orientation : « Production maraîchage Biologique » qui s’est avéré obligatoire pour obtenir les aides liées à l’installation…
En ce qui concerne les aides financières, on obtient plus de sous si l’on prouve que l’on va faire du bio et si l’on est « hors cadre », c’est-à-dire non issu du milieu agricole depuis deux degrés (parents, oncles, tantes…).
Les agriculteurs qui font de l’élevage perçoivent davantage de subventions.
De notre côté, nous avons touché un tiers de notre investissement total, ce qui a permis de financer la serre. La contrainte est alors de respecter le business plan pendant quatre ans.
– En quoi a consisté précisément la formation nécessaire à cette création d’entreprise ?
C’est une formation professionnelle qui contient un bon tiers d’administratif (comptabilité, gestion administrative d’exploitation), de la théorie et de la pratique de maraîchage car il y a un gros travail d’organisation de la production (calcul des rendements, des taux de pertes, de la durée de germination des produits, rotation des cultures, moments adéquats pour apporter des fumures, gestion de l’arrosage, des ravageurs…).
Notre activité ne se limite pas au simple « jardinage » ; il y a aussi une grande part de gestion par le biais de l’informatique avec des tableaux Excel à remplir et à remettre régulièrement à jour. Sans oublier toute la partie commerciale en s’appuyant sur des cours de commerce ! Si l’on produit et qu’on ne vend pas, ça ne sert à rien !
– Alors depuis quand, cette exploitation existe-t-elle ?
Concrètement, je me suis installée en novembre 2019 mais cela faisait déjà deux années que la « machine était en route », avec l’inscription de l’exploitation à la Chambre d’agriculture.
– Et tu as aussi créé dans le même temps une AMAP ! Raconte-nous ce projet…
Oui effectivement, j’ai créé en même temps et en tant que consommatrice (en mars 2019) une AMAP (association de maintien pour l’agriculture paysanne) qui regroupe une cinquantaine de producteurs et de consommateurs.
De leur côté, les producteurs s’engagent à être transparents sur leur production et à fixer des prix de vente directe. Quant aux consommateurs, ceux-ci s’engagent à acheter de la production tout au long de l’année pour apporter de la trésorerie à l’entreprise. J’ai d’ailleurs signé mon vingtième contrat hier (rires) !
– Concrètement, comment cela se passe-t-il ?
Les adhérents à notre AMAP paient 400 euros par an et en échange, ils ont droit à 36 paniers dans l’année, contitués notamment des légumes et des fruits de saison. Tout ce qui est légumes et fruits relève uniquement de ma production.
À bien y réfléchir, je n’aurais pas pu créer mon entreprise sans l’AMAP. Outre les légumes et les fruits, l’AMAP propose du pain, des produits laitiers à base de lait de chèvres, de la volaille et des œufs, de la viande de porc et de bœuf, du miel, de la farine et des lentilles. Ce sont tous des produits de bonne qualité.
On a pu constater que l’AMAP avait permis à certaines personnes du village de retisser des liens sociaux. Comme beaucoup de communes de la région, Pillon est devenu un « village-dortoir » avec des habitants qui travaillent loin, notamment au Luxembourg !
– Quelles sont les difficultés que tu as rencontrées ou que tu rencontres encore dans la vie quotidienne pour faire vivre ton « affaire » ?
En fait, c’est toute la gestion du quotidien, l’achat imprévu de matériels divers, l’adaptation au terroir et à ses spécificités, les frais liés aux achats de semences, avec les quantités particulières à prévoir, l’achat de terreau, etc.
– Quels sont tes projets pour les années à venir ?
Je me suis aperçue que beaucoup de personnes ne connaissent pas certains légumes (blettes, betteraves crues, pâtissons, variétés diverses de tomates…). Voilà pourquoi je voudrais organiser des cours de cuisine avec uniquement des légumes de saison. Je voudrais également mettre en place des cours destinés aux personnes en difficulté comme le public de la Croix-Rouge, et aussi sensibiliser les élèves des petites classes de l’école primaire.
– Tu as passé trois ans à enseigner… Quelles sont les raisons qui t’ont poussé à ne pas poursuivre dans l’enseignement ?
Cela a été notamment une expérience malheureuse vécue au Lycée Margueritte de Verdun à travers un relationnel difficile avec certains élèves peu investis et certains parents laxistes. Enseigner me plaisait beaucoup mais j’avais parfois le sentiment de « nager à contre-courant ». Par ailleurs, le système pédagogique ne me convenait pas ; j’enseignais alors ma matière à raison d’une heure par semaine et mes élèves avaient du mal à s’accrocher.
– Tu as passé une année scolaire parmi nous au Lycée Darche en 2015-2016… Quels souvenirs garderas-tu de ce lycée ?
Cela a été une année formatrice parce que j’ai été poussée dans mes retranchements. C’est vraiment là que j’ai aimé et eu envie d’enseigner, à travers mes interventions dans une classe de 2nde Bac Pro ASSP que j’avais à raison de 18 heures par semaine, dans le cadre de la BSE (Biotechnologies – Santé – Environnement) avec des cours de Nutrition, Services à l’usager et PSE (Prévention Santé Environnement). Cette année-là m’avait permis de tisser des liens relationnels intéressants et forts avec les élèves de la classe.
– Quelles sont tes passions ? As-tu des hobbies ?
(rires) Jadis, j’avais des hobbies (rires) !
– Quel(s) conseil(s) pourrais-tu donner aux jeunes qui vont nous lire ?
Qu’ils ne désespèrent surtout pas et qu’ils soient patients. Dans la vie, rien n’est jamais gravé dans le marbre ! Savoir ce que l’on veut faire quand on est au lycée, c’est vraiment difficile ! On est appelé à changer d’orientation et l’on peut évoluer toute notre vie. Il faut être en constante évolution de tout, ne pas rester sur ses acquis et s’adapter aux évolutions de notre société !
Je me rends compte que j’ai des mamies de 80 ans qui passent aujourd’hui leur commande par l’intermédiaire de Facebook (rires) !
– Un grand merci Emilie, d’avoir accepté cette rencontre et d’avoir témoigné de ta nouvelle aventure professionnelle si riche, et bon courage pour la suite !
Interview préparée, propos recueillis et photographies
par Jean-Raphaël Weber
le 12 août 2020
Merci à Catherine Ragazzi et aux Estelle Pendrié et Weber,
pour leur précieuse collaboration !
Les Meix du Baugeron
Vente directe à la ferme, chaque samedi de 9 h à 12 h
Contact : emilie.lemmer55@gmail.com