Abdennour Bidar, philosophe de la laïcité le 4 juin dernier à Longlaville

Abdennour Bidar, philosophe et haut fonctionnaire de l’Éducation nationale s’est arrêté l’autre jour à Longlaville pour y donner une conférence sur « les valeurs à transmettre aujourd’hui et la laïcité ». C’était durant la matinée du mardi 4 juin dernier à la salle Jean Ferrat de Longlaville, devant des élèves très attentifs du bassin de Longwy et leurs enseignants. Explication de texte…

 

 

 

Contexte

Le philosophe et haut fonctionnaire Abdennour Bidar a répondu présent à l’invitation de Christine Trombini, la Principale-Adjointe du collège des Trois Frontières, en venant mardi 4 juin dernier à la salle Jean Ferrat de Longlaville, afin d’y faire une intervention axée sur les valeurs à transmettre aujourd’hui et la laïcité. Une prise de parole qui s’est déroulée au milieu de la matinée devant un public de 150 personnes environ (des élèves de plusieurs établissements du bassin de Longwy, venus avec leurs professeurs et des inspecteurs du 1er degré). Parmi ces jeunes, une dizaine d’élèves de 2nde Bac Pro ASSP du Lycée Darche qui avaient préparé en amont la venue du philosophe, en cours d’Accompagnement Personnalisé consacré à l’enseignement moral et civique. Avant la conférence, Mme Christine Trombini a présenté M. Bidar en évoquant ses parcours universitaire et professionnel exemplaires…

 

 

Éléments biographiques

Une naissance en 1971 à Clermont-Ferrand et une jeunesse passée dans les quartiers populaires du nord de la ville auvergnate… Abdennour Pierre Bidar est le « fruit » de deux cultures. D’un côté, il est le fils d’une Française catholique, médecin convertie à l’islam et élevé par elle dans la tradition soufie. Il a aussi été en partie élevé et discipliné par le fondamentalisme de son père adoptif marocain berbère. De l’autre côté, son grand-père maternel, un paysan et un ancien résistant communiste l’a influencé dans une spiritualité sans religion. Le philosophe évoque son grand-père : « Il trouvait sa transcendance dans la terre et dans l’être humain. » Un rapport à la nature qu’il lui a transmis. Abdennour Bidar a trois enfants.

 

Un parcours sans fautes

Agrégé de philosophie et ancien élève de l’École normale supérieure de Fontenay-Saint-Cloud (Lyon), auteur d’une thèse en philosophie intitulée : « Mohammed Iqbal : une pédagogie de l’individuation », Abdennour Bidar enseigne d’abord la philosophie en classes préparatoires aux grandes écoles, option ECE, entre 2004 et 2012, notamment à l’université Nice Sophia Antipolis.

À partir de janvier 2011, il est chargé de mission sur la pédagogie de la laïcité auprès du directeur général de l’enseignement scolaire (DGESCO) du ministère de l’Éducation nationale.

 

 

En avril 2013, il est nommé membre de l’Observatoire de la laïcité et participe à la rédaction de la charte de la laïcité à l’École, avec le ministre Vincent Peillon.

 

 

 

 

Il fait aussi partie du comité de rédaction de la revue Esprit. Appelé le « philosophe du vivre ensemble », Abdennour Bidar publie plusieurs ouvrages sur l’islam dont : Un islam pour notre temps (2004), Self islam (2006) et des essais remarqués comme Plaidoyer pour la fraternité (2015).

 

 

 

 

 

 

En tant que producteur et animateur-présentateur, il participe à des émissions de radio du groupe Radio France, ainsi à France Inter et à France Culture entre 2012 et 2015 : « Cause commune, tu m’intéresses », « France islam : questions croisées », « Cultures d’islam ». Durant ces dernières années, il a multiplié les incursions dans les médias en étant régulièrement présent sur des plateaux télé consacrés au thème de la laïcité.

 

Nommé inspecteur général de l’Éducation nationale en 2016, il intègre l’inspection générale de philosophie et de vie scolaire.

 

Polémiques

Abdennour Bidar a notamment été accusé par Pierre Tevanian et Alain Gresh d’essentialiser l’islam, la culture et la civilisation musulmanes. Ces deux intellectuels lui reprochent aussi d’exiger des musulmans en général ce qu’il ne demande pas aux autres religions ou communautés lorsque certains de leurs membres commettent des atrocités.

Pierre Tevanian l’a même insulté de : « marchand de fascisme à visage spirituel ».

 

Un message humaniste

Ce mardi 4 juin, le philosophe a d’abord parlé de l’importance du sens à donner à sa vie, rappelant au passage que le terme : « sens » renvoie à la fois à la signification et à la direction. L’idée de l’humanisme est la règle d’or universelle partagée par tous les êtres humains. Cette idée tient à notre sensibilité même d’être humain : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas qu’il te fasse. »

Face à une société dans laquelle il y a beaucoup de solitude, d’égoïsme et d’indifférence (dixit : « une banquise sociale »), « ce qui nous rassemble est encore plus fort que ce qui nous sépare », a-t-il énoncé. Il a expliqué que notre responsabilité était de faire en sorte qu’il y ait des espaces dans lesquels on perçoit de la solidarité.

 

 

S’appuyant sur l’image des écosystèmes de la nature, il a parlé de l’impérieuse nécessité de créer des liens entre les individus ! Il a cité l’un de ses essais : Les Tisserands (2016) dans lequel il s’interroge sur les trois grands types de liens qui ont été déchirés au fil du temps.

– Le lien aux autres : « Nous sommes comme une souris prise dans une roue avec un lien asservissant et ceci, quel que soit notre salaire ! […] Nous sommes dans une société très aliénante qui nous oblige à travailler ! »

– Le lien à soi (vivre et être en accord avec soi-même). Abdennour Bidar a souligné l’importance d’exercer un métier qui a du sens ! Ainsi a-t-il donné l’exemple du métier de professeur qui lui a permis de trouver du sens à travers l’expérience de « l’unification de son être », en citant la Bhagavad-Gita ou Bhagavadgita de la pensée religieuse hindouiste, un terme religieux se traduisant littéralement par : « chant du Bienheureux » ou « Chant du Seigneur »… Pour résumer, lorsque l’on produit une activité et que l’on est passionné dans la production de cette activité, plus on dépense d’énergie, plus on en gagne intérieurement ! C’est le cas des expériences que l’on fait dans lesquelles on se sent complètement investi, des expériences de « vivification profonde ».

– Le lien avec la nature : Celui-ci s’est brisé, on assiste depuis des décennies à la surexploitation et à l’intoxication de la planète du fait de la prédominance du modèle économique libéral. S’il est extrêmement endommagé aujourd’hui, ce lien avec la nature peut encore être retrouvé en allant à sa rencontre, en retrouvant la sensibilité profonde du langage de la nature – qui nous parle et nous inspire – et en méditant… Abdennour Bidar a cité le « Cantique de Frère Soleil ou des Créatures » de Saint François d’Assise.

Mais le philosophe a aussi cité le Coran dans son intervention. « On y est toujours en train de dire : « Soyez attentifs aux changements… » On y décrit comment le jour succède à la nuit, etc. La nature nous conduit à accepter qu’on vieillisse, que nos humeurs changent, etc. Notre psychisme est comme le ciel, un jour on est triste, l’autre on est heureux, le psychisme humain est fluctuant, le fait d’être en accord avec la nature nous conduit à accepter l’existence et la mort. Pour les êtres humains, la nature donne de grandes leçons ! »

Abdennour Bidar a également mis l’accent sur l’importance de faire ses propres choix, d’essayer de ne pas être docile, en citant Stéphane Hessel et son Indignez-vous ! (2010) en soulignant l’importance de l’indignation et de l’action nécessaires à la construction de la personnalité.

Parlant du troisième mot inscrit dans notre devise républicaine ; « Fraternité » à relier à la compassion, il a cité Martin Luther King : « Nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons mourir tous ensemble comme des idiots. »

Après l’intervention de l’orateur, différents thèmes ont été évoqués à travers les diverses questions posées par l’auditoire : liberté, injustice, égalité homme-femme, rapports avec les parents, franchissement des caps et des étapes de la vie, nécessité de faire les bons choix, rôle formatif des erreurs, etc. Bidar a aussi fait référence au philosophe Makram Abbès et à son essai Islam et politique à l’âge classique (2009), au philosophe des Lumières Nicolas de Condorcet et même à Aristote : « À chacun selon son mérite et à chacun selon son dû. »

Enfin, le philosophe a conclu sa conférence en mettant l’accent sur les efforts à fournir par chacun, pour chercher qui l’on est.

 

 

 

Filer la métaphore marine…

En résumé, bien que – de par ses origines auvergnates clermontoises – il n’ait pas vraiment le « pied marin », Abdennour Bidar accomplit une traversée sans fautes, contre vents et marées, sachant bien mener sa barque… Il a le vent en poupe, depuis une dizaine d’années. Il a toujours gardé le cap vers l’Orient et il apparaît aujourd’hui en France comme la figure de proue de la laïcité…

 

 

 

 

Merci à Christine Trombini

Texte, documentation et mise en page

 par Jean-Raphaël Weber